Les pionniers de ce qu’on appelle maintenant l’Internet avaient imaginé un modèle passablement différent de celui qu’on connaît aujourd’hui. En 1969, des ordinateurs avaient été connectés à l’Advanced Research Projects Agency Network (ARPANET), premier réseau de commutation par paquets de la planète et ancêtre de l’Internet actuel, comme on le pense le plus souvent. Toutefois, alors que l’Internet de 2024 est un réseau décentralisé, disséminé et indissociable de l’économie contemporaine à bien des égards, les fondateurs d’ARPANET avaient plutôt songé à un réseau fermé ne devant servir que dans un petit nombre de cas très précis.
Le problème auquel on se heurte à présent est que l’Internet moderne repose toujours sur le modèle technologique à la base d’ARPANET, ce qui soulève des difficultés qu’il faut désormais surmonter : la sécurité, l’accessibilité et la gouvernance.
Pour y arriver, on devra faire appel à un outil essentiel : la collaboration.
Rien n’est aussi urgent à régler aujourd’hui que la sécurité de l’Internet
Dans le modèle fermé qu’était au départ ARPANET, structurer la sécurité comme on le fait maintenant s’avérait inutile, car accéder au réseau n’était possible qu’à partir de quelques sites. En d’autres termes, la cybersécurité équivalait à la sécurité matérielle. Avec la multiplication des utilisateurs militaires, on a bien commencé à s’intéresser à l’encryptage, mais, compte tenu du nombre d’infrastructures cruciales actuellement connectées au réseau (eau, énergie, finances), on ne dira jamais assez combien notre mode de vie est menacé par le piratage informatique.
« Avec une main-d’œuvre très scolarisée et une solide réputation internationale, le Canada se retrouve dans une situation unique : profiter du besoin de meilleurs outils et services pour devenir un chef de file mondial dans l’industrie naissante de la cybersécurité. »
Mais tout n’est pas perdu. Avec une main-d’œuvre très scolarisée et une solide réputation internationale, le Canada se retrouve dans une situation unique : profiter du besoin de meilleurs outils et services pour devenir un chef de file mondial dans l’industrie naissante de la cybersécurité. Nous avons d’ailleurs progressé dans ce sens quand le gouvernement canadien a financé il y a peu le Réseau d’innovation pour la cybersécurité afin de soutenir la recherche et la commercialisation en cybersécurité et quand Mastercard a inauguré son centre mondial d’innovation en cybersécurité, intelligence artificielle (IA) et Internet des objets (IdO), à Vancouver. Cependant, il ne s’agit que d’un début. Avec CyberSpark, Israël a entrepris depuis longtemps de relier ses secteurs universitaire, industriel et militaire tant sur le plan géographique que sur celui de l’innovation. Or, ce n’est qu’en rapprochant les innovations réalisées dans une multitude de secteurs que le Canada réussira lui aussi à concurrencer les géants de l’économie sur la planète.
Avant qu’on le prenne au sérieux et le considère comme un fournisseur d’outils mondial digne de foi, le Canada devra toutefois prouver de façon crédible qu’il peut prendre soin de lui-même. Là encore, la collaboration sera capitale, dans chaque secteur et entre ceux-ci.
« Le but ultime consiste à mettre en place un modèle qui permettra aux innovations en cybersécurité réalisées par les entrepreneurs ou découlant de la recherche universitaire d’être testées dans le milieu de la recherche et de l’éducation, en vue de le sécuriser davantage et de procurer aux jeunes pousses la clientèle initiale qui leur manque. »
Le secteur de la recherche et de l’éducation (R-E) s’est déjà engagé dans cette voie. Comprenant qu’aucune institution ne pourrait faire cavalier seul pour se mettre à l’abri des auteurs de menaces de plus en plus sophistiqués, surtout quand ils bénéficient de l’appui des nations-états, il cherche des moyens pour collaborer. Les institutions les plus modestes ne sont pas les seules à être parvenues à ce constat, l’approche est pansectorielle et les plus grandes comme les plus prestigieuses universités du pays leur ont emboîté le pas.
Le but ultime consiste à mettre en place un modèle qui permettra aux innovations en cybersécurité réalisées par les entrepreneurs ou découlant de la recherche universitaire d’être testées dans le milieu de la recherche et de l’éducation, en vue de le sécuriser davantage et de procurer aux jeunes pousses la clientèle initiale qui leur manque pour prouver l’utilité de leurs produits et commencer à les exporter. Pareil modèle engendrera un cycle vertueux de l’innovation en cybersécurité et rendra à la fois le secteur R-E et l’économie canadienne tout entière plus sûrs.
Un meilleur accès à l’Internet
Encore une fois, aux débuts de l’Internet, personne ne songeait que viendrait le jour où le travail, les études, les finances, le commerce de détail et le reste s’effectueraient autant en ligne. À l’époque, le réseau ne servait qu’à raccorder les principaux sites militaires et scientifiques. Cependant, dans un monde où tout, ou presque, dorénavant s’effectue en ligne, la connectivité n’est plus un luxe, elle devient une nécessité. Beaucoup de gens y voient même un droit fondamental.
Reste qu’un clivage numérique demeure sur la planète, pour des motifs pécuniaires autant que géographiques. Même dans un pays aussi riche que le nôtre, bien des gens n’ont pas les moyens de se brancher à l’Internet ou n’ont pas accès à une connexion assez puissante pour autoriser des activités exigeant une faible à moyenne largeur de bande.
Certes, la technologie contribue à rendre un tel accès plus facile. Ainsi, les régions où on ne disposait pas d’un accès fiable et abordable à l’Internet il y a peu profitent désormais de connexions à débit beaucoup plus élevé grâce aux satellites à orbite basse (SOB). Installés sous l’orbite des satellites géostationnaires, les SOB procurent aux régions reculées ou rurales un accès de qualité à l’Internet, à un débit plus rapide ainsi qu’avec un moins grand décalage et une couverture plus étendue, à un coût plus modique.
Nous avons constaté personnellement les bienfaits qu’une communauté peut tirer des SOB à l’occasion de nos travaux avec le Collège de l’Arctique du Nunavut. En effet, l’an dernier, celui-ci s’est connecté au Réseau national de la recherche et de l’éducation (RNRE) grâce à des SOB, projet qui a achevé le RNRE canadien en le rattachant au Nunavut.
« Le Canada est simplement trop vaste et sa population trop petite et clairsemée pour que les forces du marché puissent combler le fossé numérique à elles seules. »
La technologie n’a toutefois pu faire de ce rêve une réalité par elle-même. Le Collège de l’Arctique du Nunavut, le gouvernement territorial et CANARIE ont dû collaborer et redoubler d’efforts pour y arriver, et le Collège de l’Arctique œuvre toujours afin que les autres communautés qu’il dessert profitent de cette connectivité.
Le Canada est simplement trop vaste et sa population trop petite et clairsemée pour que les forces du marché puissent combler le fossé numérique à elles seules. Les gouvernements, la société et l’industrie devront se concerter afin que chacun puisse accéder à l’Internet selon ses besoins.
Internet et gouvernance
Le gouvernement des États-Unis finançait ARPANET. C’est donc lui qui a fixé les règles concernant son utilisation. Le réseau ne devait servir qu’à des fins gouvernementales et on attribue souvent à Leonard Kleinrock, un informaticien, la première activité illicite enregistrée sur le réseau, en 1973, quand il a demandé que son rasoir électrique lui soit renvoyé à Angeles, après l’avoir oublié dans un colloque, au Royaume-Uni.
Le modèle actuel est nettement plus complexe et maintes parties prenantes (gouvernements, entreprises, société civile) interviennent dans sa gouvernance, sur une foule de sujets. À sa dernière rencontre, en 2023, par exemple, l’Internet Governance Forum s’est penché sur huit questions, dont le morcellement de l’Internet, la cybersécurité et les droits de la personne. Et le Forum n’est qu’un organe de l’Internet Engineering Task Force (IETF), chargé d’élaborer les normes techniques optionnelles qui permettront au réseau de poursuivre son évolution.
« Le risque demeure que la voix d’un petit nombre d’organisations aux coffres bien remplis porte plus que celle de la majorité. »
Quoiqu’un tel engagement augure bien pour l’avenir du réseau, le risque demeure que la voix d’un petit nombre d’organisations aux coffres bien remplis porte plus que celle de la majorité. La participation aux forums contribuera à unir ces voix disparates pour leur donner plus de poids, d’où leur importance.
Le Canada a la chance de compter le Forum canadien sur la gouvernance de l’Internet (FCGI), initiative multipartite qui alimente un dialogue ascendant sur des politiques inclusives, ouvertes et transparentes pour le numérique et défend les priorités de notre pays dans le monde. CANARIE est fier d’en faire partie depuis longtemps (par le truchement de CIRA, qui en assure le secrétariat), car nous sommes persuadés que chacun a son mot à dire dans l’évolution continuelle de l’Internet.
De toue évidence, aucun de ces problèmes ne pourra être résolu du jour au lendemain. Mais avec la collaboration, nul n’est insurmontable.
Ce n’est qu’en mettant tous la main à la pâte que l’Internet s’avérera aussi transformateur dans l’avenir qu’il l’a été dans le passé.